Un jour ordinaire

C’était un mercredi 10 juillet, un jour presque ordinaire pour un détective privé. Me voilà envoyé sur une enquête incendie dans la Sarthe pour tenter d’y voir clair sur les circonstances du sinistre.
François, locataire d’un appartement au 3ème et dernier étage d’un immeuble, ne payait plus ses loyers. Pour aggraver son cas, il prêtait son appartement à des compagnons d’infortune consommateurs de stupéfiants et dont l’un d’entre eux avait souscrit un abonnement en maison d’arrêt. François, son truc à lui, c’était l’alcool. La drogue, il n’y touchait pas. Le problème, c’est que son niveau de discernement pour filtrer les allers et venues de son appartement était plus que perfectible. Et le niveau avait tendance à baisser sérieusement, voire à rejoindre le manteau inférieur de la couche océanique au fur et à mesure que s’approchait la tombée de la nuit…

Rien ne prédestinait pourtant François à en arriver là. Au départ, il était commercial. Une vie apparemment sans histoire. Un divorce plus tard et devenu sans emploi, il était devenu l’ombre de lui-même.

Au cours de mes investigations, je m’étais intéressé à son bailleur. Je l’avais croisé par hasard, à la sortie de l’immeuble. Je faisais une enquête de voisinage. Les gens ne savaient rien de plus que ce que racontait la presse locale. C’est-à-dire pas grand-chose. Et puis les journaux étaient là pour vendre et les voisins pour vaquer à leurs occupations. Tout le monde s’en fichait à peu près. L’incendie, c’était le problème de l’assurance. Elle n’avait qu’à payer les dégâts et puis c’est tout. Aucune raison de perdre du temps à répondre aux questions d’un enquêteur privé.

Le bailleur était propriétaire de l’immeuble. Je lui avais demandé comment il avait fait pour trouver ses locataires et pourquoi confier un logement à François. Il m’avait raconté sa version, très vague, qui ne me disait rien de bon. J’ai comme eu le sentiment que le seul critère qui l’intéressait, c’était la fragilité de François. Un locataire dont la conduite est sous l’empire de l’alcool, cela peut servir. Et pourtant il y avait mis du sien le bailleur. Il avait entamé une procédure d’expulsion, fait un signalement auprès des services sociaux pour alerter sur la situation. « Une IP » (Information Préoccupante) me dira plus tard l’un des responsables. Tout cela sonnait un peu faux. J’avais l’impression que le bailleur s’était plutôt acheté un certificat de bonne conduite. Car dans l’histoire, les sapeurs-pompiers ayant noyé l’immeuble sous des trombes d’eau, les appartements devenus inhabitables allaient lui permettre de se refaire la cerise aux frais de la princesse assurance.

Le plus étonnant dans cette histoire a été la politique de la Ville. Le jour de l’incendie, le maire s’était rendu sur place pour faire savoir à la presse qu’un hébergement d’urgence serait trouvé pour tous. Sauf pour François. « Vous comprenez, m’avait dit le responsable du CCAS de la Ville, il avait des arriérés de loyers. Nous avons fait passer son dossier en un temps record de 2 mois alors que nous avons au moins 2 ans d’attente. Mais les bailleurs sociaux ont refusé son dossier. Je lui ai conseillé de se tourner vers le parc privé. »

Vers le parc privé ? Cette phrase m’a trotté dans la tête sur le chemin du retour. Le maire de cette ville avait été ministre d’un président de la République qui avait déclaré la guerre au monde de la Finance.

A mon retour, j’apprends que deux gendarmes s’étaient présentés chez moi dans le cadre d’une « enquête de voisinage, » c’était leur expression, suite au dépôt de plainte d’un voisin qui avait découvert son chat avec une balle dans le corps. « Je ne suis plus surpris de rien » avait déclaré sur un ton désabusé et comme pour s’excuser, l’un des gendarmes. Il avait même ajouté : « Le chat est en soins intensifs. » J’ai imaginé les gendarmes juste avant de partir en mission, en train de chambrer gentiment leur cartouche dans le tube à sable, puis de se diriger en uniforme vers leur véhicule pour se rendre ensuite dans notre quartier muni d’un gilet pare-balles. Je ne pensais pas que mes impôts serviraient un jour à ça. Auraient-ils fait la même enquête dans une zone d’éducation prioritaire ?

Malgré quelques hébergements ponctuels auprès de structures d’accueil, François vit désormais le plus souvent à la rue. Pour lui, il n’y aura ni enquête pour trouver un logement, ni même de solution.

Le chat, lui, en a trouvé une. Il est sorti de soins intensifs et a pu regagner son domicile. Avant de se faire une nouvelle fois la malle. Il a disparu dans la forêt, probablement un soir de 14 juillet où le peuple réuni fête, sans trop le savoir, la libération de 7 prisonniers dont 2 fous par une foule hystérique ayant promené au bout d’une pique, en plein Paris, la tête du gouverneur de la Bastille.

J’ai imaginé le chat en train de poursuivre une souris dans la forêt pendant que François, lui, entre deux bouteilles, sombrait dans un mauvais rêve sur le trottoir crasseux d’une ville éclairée par un feu d’artifice. Un décor pyrotechnique dont la symbolique vous rappelle que vous n’êtes qu’un étranger dans votre propre pays.


Cabinet Raspail : – Détective privé présent à Paris et Angers. Enquête sur toute la France.
Domaines d’intervention : fraude à l’assurance, recherche de personne, enquête de solvabilité, escroquerie, enquête de moralité, enquête familiale, déloyauté du salarié etc. Filature et surveillance sur tout dossier dont la légitimité est avérée.